Dany Laferrière - Rennes 22 janvier 2011 - Les Champs Libres
Champs contre champs
Dany Lafferière et Haïti
Le 22-jan-11 | |
Durée : 90 minutes. | |
Horaire : 15H30 | |
- Salle de conférences Hubert Curien | |
Rencontres et débats |
Le 12 janvier 2010, l'écrivain Dany Laferrière se trouve à Haïti pour le festival Etonnants Voyageurs. Comme tant d'autres, il est pris dans le tremblement de terre. Au contraire de tant d'autres, il réchappe à la catastrophe. Un an après, dans Tout bouge autour de moi, il témoigne de ce qu'il a vu – sur le moment, puis quelques semaines plus tard à l'occasion d'un retour en Haïti. Sans pathos, sans lyrisme. Des « choses vues » qui disent l'horreur, mais aussi le sang-froid des Haïtiens. Que reste-t-il quand tout est tombé ? La culture. C'est par elle et grâce à elle que, aussitôt, ils résistent au découragement. Les marchands d'art recommencent à exposer leurs tableaux, dans la poussière, au gré du vent. Les gens racontent, suivant la tradition d'oralité si chère au pays. Les amis sont là, et la solidarité internationale. Et cette étrange télévision qui, pour nourrir sa présence 24 heures sur 24, crée des « pillages » qui n'existent pas, du romanesque s'ajoutant au drame. Dany Laferrière y oppose la littérature. Ce qu'elle voit, ce qu'elle peut dire, sans mensonge. Pour lui, ce tremblement de terre « est un événement dont les répercussions seront aussi importantes que celles de l'indépendance d'Haïti, le 1er janvier 1804 ».
Dany Laferrière a publié de nombreux livres, dont Vers le Sud (2006), adapté au cinéma par Laurent Cantet, et L'Enigme du retour, prix Médicis 2009. Tout bouge autour de moi vient de paraître, chez Grasset.
Récit
Que reste-t-il d'une catastrophe ? Dans la mémoire et les songes, les têtes et les corps ? Un an après le séisme qui ravagea Haïti (le 12 janvier 2010), Dany Laferrière se souvient. L'écrivain canadien né à Port-au-Prince était là-bas, à ce moment-là. Il venait d'arriver dans sa ville natale pour le festival Etonnants Voyageurs, décentralisé en Haïti, attendait au restaurant de commencer sa langouste, quand la terre, après une explosion, s'est mise à trembler. Une longue minute de silence absolu, et le pays était en ruine. Nulle émotion lyrique pourtant dans ce récit aussi pudique et digne que le peuple haïtien durant le désastre. Nul voyeurisme. En courts paragraphes ciselés, titrés comme autant de récits minuscules, le conteur dessine à traits acérés une réalité insaisissable. Telle cette foule d'absolus démunis, dans les rues, qui se met courageusement à chanter. Peut-être les terribles problèmes du jour effaçaient-ils les angoisses d'hier ? Peut-être surgissait une espèce d'ivresse : « Rien ne nous retient. Plus de prison, plus de cathédrales, plus de gouvernement, plus d'école, c'est vraiment le moment de tenter quelque chose. Ce moment ne reviendra pas. » Laferrière décrit avec une infinie délicatesse ces moments fous de terreur et de chagrin où les résistances s'organisent avec une terrible énergie ; où lui-même doit aider les siens : la mère fragile, la soeur accablée, le neveu ombrageux... S'il semblait périlleux de trouver le ton juste pour pareil témoignage, à la fois intime, politique, cosmique, l'écrivain y est superbement parvenu, qui s'insurge pourtant contre ces préjugés occidentaux encore teintés de colonialisme qui voient en Haïti une terre maudite : « Qu'a fait de mal ce pays pour mériter d'être maudit ? » On quitte cet étonnant mémento plein de respect pour les malheurs d'un peuple jamais docile, jamais passif, que Dany Laferrière fait vivre à merveille, jonglant dans l'espace et le temps, la méditation et le quotidien, le rêve et la sensation brute, donnant jusqu'au sentiment de ressusciter les morts. Artiste démiurge au milieu d'un peuple d'artistes démiurges. Car qu'est-ce qui a si fortement soudé les Haïtiens face au malheur ? La musique, la peinture, qui refleurirent aussitôt dans les rues éventrées. Malraux déjà s'émerveillait de cet unique « peuple de peintres ». La culture nous sauvera, répète en leitmotiv Dany Laferrière. Et son récit déjà le prouve, qui métamorphose un tremblement de terre en source jaillissante d'amour et de lumière.
Telerama n° 3183 - 15 janvier 2011